Darren Aronofsky n'est plus le novice qu'il était lorsque Pi, son premier film, œuvre expérimentale, fut découverte et acclamée en 1998 par un cercle relativement restreint de spectateurs. Il prit le temps de se forger une solide réputation et plus important encore, une très forte identité au rythme des films qu'il réalisa tout au long des années 2000, et qui marquèrent à leur façon le cinéma de cette décennie. On retiendra plus particulièrement Requiem for a Dream, film culte de toute une génération. C'est donc avec une certaine confiance que les fans du cinéaste ont attendu l'arrivée de Black Swan, qui devait mettre en scène les rivalités au sein d'une troupe de danseuses de ballet autour du rôle principal du "Lac des Cygnes" à savoir le fragile Cygne Blanc qui se transforme peu à peu en un Cygne Noir plus sombre et plus violent.
Nina Sayers est une ballerine très talentueuse, certainement la meilleure de sa compagnie comme sa mère le lui fait d'ailleurs remarquer. Son désir ardent de perfection lui a fait devenir une danseuse à la technique admirable qui a su acquérir la reconnaissance de son maître de ballet, Thomas Leroy. Âgée de plus de 25 ans, elle espère maintenant pouvoir obtenir un premier rôle, qu'elle n'a jamais eu la chance de jouer pour le moment. Or, Thomas a justement décidé de programmer une nouvelle version du célèbre "Lac des Cygnes" et sa danseuse principale Beth Macintyre a été plus ou moins mise à la retraite par Thomas lui-même. C'est donc le moment idéal pour que Nina puisse enfin saisir sa chance. Malheureusement, le rôle qu'elle convoite est complexe. La Reine des Cygnes est un personnage bicéphale tiraillé entre le Cygne Blanc, sa personnalité délicate, morale et chaste et le Cygne Noir qu'elle devient suite à la trahison de son prince qui en aime une autre. La plus grande difficulté pour Nina sera d'arriver à jouer les deux facettes du personnage avec la même justesse. Elle semble parfaite pour le Cygne Blanc mais sa trop grande retenue lui attire les foudres de Thomas pas vraiment satisfait de la façon avec laquelle elle interprète le Cygne Noir. Le reste de l'histoire n'est finalement qu'un long récit initiatique, Nina partant à la recherche du Cygne Noir, ce côté sombre que nous possédons tous et qu'elle va tenter de faire émerger pour incarner le plus brillamment possible le rôle qu'on lui a confié.
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Évidemment, la comparaison entre Nina et son personnage est frappante. Mais les autres personnages peuvent aussi s'apparenter à ceux du ballet en question. Ainsi, La jeune fille tombera assez rapidement sous le charme de Thomas (ce qu'il lui reproche d'ailleurs, prétextant que c'est elle qui est censée le séduire en tant que Cygne Noir), son "Prince" qu'elle surprendra en pleine relation sexuelle avec une autre, sa concurrente Lily qu'elle soupçonne de vouloir lui voler le rôle (et aussi certainement Thomas). D'ailleurs si le Cygne Noir qui s'installe peu à peu en elle l'incitera à devenir de plus en plus brutale et imprévisible, la sexualité n'en demeure pas moins une composante prépondérante de son parcours, symbole le plus représentatif de la libération, de la désinhibition... D'ailleurs le thème de la sexualité commence à faire son apparition à partir du moment où Nina parviendra à obtenir le rôle par le simple mot "putain", qu'une danseuse jalouse lui écrit sur le miroir de la salle de bain avec un rouge à lèvre et que Nina effacera frénétiquement. Trop tard, la sexualité s'invitera fatalement dans sa vie, auparavant prude et pudique. L'un des premiers conseils de Thomas sera même de l'exacerber. Nina, gênée ne répond trop rien, mais sera forcé de suivre ce conseil pour atteindre une jouissance libératrice et salvatrice, symbolisée par la scène d'amour lesbien fantasmée qui la liera enfin à Lily, son double, son Cygne Noir...
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Le film nous transporte réellement dans un voyage fascinant au plus profond de la schizophrénie et de la paranoïa de son principal protagoniste. Cette démence qui la poussera à s'autodétruire est parfois pénible à regarder, d'autant plus que la réalisation d'Aronofsky nous contraint toujours à suivre le personnage (parfois littéralement lorsque le caméra filme Nina de dos marchant rapidement dans les rues de New York) ce qui implique une forte proximité avec lui. Très souvent, le spectateur, compatissant, aura envie que Nina réussisse à surmonter l'adversité de sa principale rivale Lily, jusqu'à ce qu'il ne comprenne finalement que cette rivale supposée ne l'est peut être que dans l'esprit de Nina, rongé par la paranoïa. Quant à sa schizophrénie, impossible ici d'en douter ! Nina ne cessera de croiser le chemin de son "double" tout au long du film, une version plus sensuelle et plus effrayante d'elle-même qu'elle finira même par combattre, symbole de la lutte intérieure qui oppose ses deux personnalités. Cette plongée au cœur des pathologies maladives de Nina y est certainement pour beaucoup dans le succès que le film a rencontré dès sa sortie.
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C'est avec la caméra à l'épaule que Darren Aronofsky filme une grande partie de ses scènes. Cette sensation de tremblement ou de flottement perdure du début jusqu'à la fin et accompagnera tout les mouvements de Nina comme pour mieux représenter son manque d'assurance et de confiance. Aronofsky est d'ailleurs coutumier de cette façon de filmer qu'il semble affectionner tout particulièrement. Comme souvent dans sa filmographie, il choisit à nouveau de montrer la souffrance physique et mentale sans en cacher tous les détails rebutants. C'est donc un festival d'ongles fêlés, de pieds douloureux, de griffures, de muscles meurtris et de peaux arrachés qui nous est donné à voir en gros plan renforcé par des bruitages légèrement exagérés, le summum étant atteint avec la transformation progressive (et fantasmée) de Nina en Cygne Noir. Certes, cette spécificité du réalisateur pourra en mettre plus d'un mal à l'aise et on pourrait presque se demander si cette surenchère n'en devient pas malsaine à la longue, mais, en aucun cas, la virtuosité d'Aronofsky ne saurait être remise en cause par cet excès. C'est avec une maîtrise complète et un réel talent de mise en scène qu'il retranscrit toute la subtilité de la personnalité de Nina bien aidé, évidemment, par son actrice principale. Comme une ultime preuve de son habileté, les scènes de danse (et plus particulièrement les scènes finales) sont extrêmement bien retranscrites, la caméra virevoltant souvent autour de Nina, suivant ses mouvements avec presque autant de grâce. A en croire que la caméra elle même ferait partie de la troupe et se produirait sur scène en même temps qu'elle. Mais cette virtuosité technique ne doit cependant pas occulter la réussite avec lequel le cinéaste parvient à représenter l'atmosphère pesante et pénible qui domine la compagnie.
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Un sans faute ! Même les plus grand détracteurs du film ne pourront nier la qualité globale de l'interprétation des acteurs. A commencer par Natalie Portman qui livre incontestablement la performance de sa vie, sensiblement aussi perfectionniste que le personnage qu'elle interprète. Chacune des expressions de son visage, chacun de ces mouvements parviennent aisément à nous montrer le tempérament de Nina et, plus important encore, ses évolutions. Difficile d'imaginer après avoir vu le film, quelle actrice aurait pu lui ravir ce rôle avec plus de succès qu'elle tant Portman semble bâtie pour incarner cette femme fragile à la recherche de son "Cygne Noir" ( sa sensualité, sa violence, son indépendance...). Côté casting, tout le talent de Natalie Portman ne camoufle en rien les prouesses de ses partenaires à commencer par la jeune Mila Kunis. Aperçue auparavant dans quelques films commerciaux qui ne lui faisaient pas forcément honneur, elle joue ici à merveille le penchant ténébreux, impétueux, voluptueux voire dépravé de Nina, idéal que celle-ci cherchera finalement à atteindre pour mieux interpréter son rôle. Enfin, Vincent Cassel est impeccable en maître de ballet quelque peu sadique mais surtout très exigeant qui tourmente la pauvre Nina déjà fortement brimée et assaillie par sa mère Erica, brillamment incarnée par Barabara Hershey, marâtre inconsciemment égoïste qui veut empêcher sa fille de devenir une femme indépendante et une meilleure danseuse qu'elle-même ne l'a été par le passé. Ce sera aussi l'occasion de retrouver Winona Ryder que l'on voyait de moins en moins à l'écran et qui joue son second rôle avec beaucoup de justesse.
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Encore un autre aspect du film qui est parfaitement maîtrisé ! L'ambiance visuelle, qui englobe la photographie, la lumière etc... est des plus réussies. Le film baigne dans une lumière terne et grisâtre qui désacralise complètement l'idée que les néophytes auraient pu se faire du monde de la danse. La véritable performance réside forcément dans la qualité qui est apportée aux effets visuels, très soignés, qui accompagnent la transformation de Nina en Cygne Noir. Plumes qui poussent, jambes déformées, yeux rouges vif, la métamorphose est captivante ! Elle prend tout son sens dans une des scènes finales superbement réalisée qui nous montre la danseuse se transformer progressivement en Cygne Noir pendant qu'elle exécute sa chorégraphie. L'atmosphère visuelle dans laquelle nous sommes transporté est globalement très travaillé. Il n'y a rien à redire là-dessus.
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Dans la veine de The Wrestler, le film précédent d'Aronofsky, l'histoire transpose les thématiques récurrentes du réalisateur (paranoïa, Schizophrénie, souffrance du personnage principal...) dans l'univers impitoyable des danseuses de ballet. On observe avec un certain malaise la descente aux enfers d'une jeune fille décidément trop fragile pour ne pas se mettre en danger en convoitant un rôle si éloigné de l'image qu'elle s'est toujours évertuée à donner d'elle. La détérioration de sa santé mentale est compréhensible très rapidement au cours du film, et chacune de ses hallucinations renforce notre suspicion en ce qui concerne l'esprit de plus en plus dérangé de Nina. On se met alors à douter, exactement comme elle-même semble le faire, de chaque image, de chaque plan qui nous parait étrange et on se surprend à remettre en cause chacun des événements sous prétexte qu'il peut très bien sortir de son imagination tourmentée. La ressemblance avec The Wrestler est définitivement palpable au cours de la scène finale, splendide conclusion d'une montée en puissance vers la gloire et la découverte de ses capacités qui ne peut se conclure que d'une façon spectaculaire.
Globalement, on se laisse porter par le scénario tantôt avec un certaine curiosité, tantôt avec effroi mais systématiquement avec beaucoup de plaisir et de compassion pour la pauvre Nina, littéralement dévorée par le personnage qui finit par prendre l'ascendant sur elle.
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Clint Mansell, compositeur attitré d'Aronofsky depuis son premier film, est encore de la partie pour le plus grand plaisir des amoureux de la musique de film. Il s'inspire inéluctablement de l’œuvre de Tchaïkovsky qui composa "Le Lac des Cygnes" à la fin du XIXème siècle tout en y ajoutant son empreinte personnelle ainsi que des sonorités plus actuelles. Et c'est encore une fois un réel succès pour Clint Mansell qui sublime réellement chaque scène du film et apporte un plus non négligeable à l'ensemble. La qualité des thèmes originaux qui ont été composé comme "Nina's dream" notamment ou "Perfection" aurait pu lui valoir une nomination aux Oscars. Chacune de ces musiques originales se rejoignent non sans une certaine cohérence avec les autres thèmes inspirés par le ballet de Tchaïkovsky et on a l'impression qu'elles correspondent à merveille aux émotions que ressent Nina tout au long du film.
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19/20
On détestera ou on adorera ce film ! Pour ma part, le choix est fait. Black Swan a beau avoir du mal à éviter une certaine démesure, il n'en reste pas moins une claque monumentale comme on en voit assez peu finalement. Aronofsky, coutumier du fait n'est pas étranger à cette réussite tout comme Natalie Portman dont on connaissait le talent mais que l'on ne soupçonnait peut-être pas être capable d'une telle performance. Tous les ingrédients qui ont fait le succès de son réalisateur sont réunis pour le plus grand plaisir de ses admirateurs. On pourra certainement trouver la note exagérée mais je la justifierai par ce qui a été pour moi un véritable coup de cœur. Une réussite totale !
Publiée le 28 juin 2012 à 18:26:40 par Kevin Sigayret
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